Groupe de presse La République

Note technique sur l’éligibilité des candidats à l’élection : Katumbi et Bemba éligibles… Joseph Kabila non !

A la suite d’un certain nombre de publications et débats au sein de l’opinion, dans les médias et sur les réseaux sociaux, le GREC, comme centre de recherche spécialisé en droit constitutionnel et en la promotion de l’Etat de Droit, tient à apporter la lumière sur les conditions d’éligibilité à l’élection présidentielle.

1. SUR LES CONDITIONS D’ACCES A LA FONCTION PRESIDENTIELLE
L’élection présidentielle occupe une position centrale dans la démocratie et la gouvernance de notre pays. Elle tend à assurer le règlement d’une succession légitime et sans violence au pouvoir par l’organisation d’une alternance démocratique ; elle apporte une solution de rechange aux différentes formes de violence politique. Il s’ensuit que dans une démocratie, l’avenir d’un acteur politique dépend en grande partie des conditions prévues par la Constitution et la loi en vue de son éligibilité.

A. Du point de vue constitutionnel
Le siège de la matière est l’article 72 de la Constitution du 18 février 2006 qui fixe limitativement quatre conditions d’éligibilité au poste du Président de la République, et ce, en affirmant ce qui suit : « Nul ne peut être candidat à l’élection du Président de laRépublique s’il ne remplit les conditions ci-après :
1. posséder la nationalité congolaise d’origine;
2. être âgé de 30 ans au moins ;
3. jouir de la plénitude de ses droits civils et politiques;
4. ne pas se trouver dans un des cas d’exclusion prévus par la loi électorale.

B. Du point de vue légal
L’article 10 de la loi électorale pose les conditions d’éligibilité.
Il dispose que sont inéligibles : (i), les personnes privées de leurs
droits civils et politiques par décision judiciaire irrévocable ;
(ii) les personnes condamnées par décision judicaire irrévocable pour
crimes de guerre, crime de génocide et crimes contre l’humanité ;
(iii) Les personnes condamnées par un jugement irrévocable du chef de
viol, d’exploitation illégale des ressources naturelles, de corruption, de détournement des deniers publics, d’assassinat, des tortures, de banqueroute et les faillis ;
(iv) Les personnes frappées d’une incapacité mentale médicalement prouvée au cours des cinq dernières années précédant les élections ;
(v) Les fonctionnaires et agents de l’administration publique ne justifiant pas, à la date limite du dépôt des candidatures, du dépôt de leur demande de mise en disponibilité ;
(vi) Les mandataires actifs dans les établissements publics ou sociétés du portefeuille ne justifiant pas, à la date limite du dépôt des candidatures, du dépôt de leur lettre de démission ;
(vii) Les magistrats qui n’auront pas donné la preuve, à la date limite du dépôt des candidatures, du dépôt de leur lettre de mise en disponibilité ;
(viii) Les membres des forces armées et de la Police nationale congolaise qui n’auront pas donné la preuve, à la date limite du dépôt des candidatures, de leur démission acceptée ou de leur mise à la retraite ;
(ix) Les membres du Conseil économique et social, du Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la communication, de la Commission nationale des droits de l’Homme, du Conseil National de Suivi de l’Accord et du processus électoral, de la Cour des comptes qui n’auront pas donné la preuve, à la date limite du dépôt des candidatures, de leur démission ou de leur mise à la retraite ;
(x) Les membres de la Commission électorale nationale indépendante à tous les niveaux, y compris le personnel. Parmi les dix conditions d’inéligibilité posées par la loi, les trois premières semblent intéresser une certaine opinion:

2. DEBAT SUR LA PROBABILITE DES CANDIDATURES DE MESSIEURS KABILA,
KATUMBI ET BEMBA
A. Tenant compte de l’impossibilité juridique du Président en fonction et de son engagement personnel et délibéré de respecter la Constitution, cette question ne peut faire d’aucun débat , à moins d’une déviance constitutionnelle délibérée consistant à défier volontairement l’ordre constitutionnel en vigueur , protégé par les dispositions des articles 70 , 71 et 220 de la Constitution.
B. S’agissant du cas de Moise KATUMBI, il convient de noter que ses droits civiques et politiques ne sont pas mis en jeu, étant entendu que les procédures pénales initiées à son encontre sont en cours et dans la mesure où aucune d’elles n’est encore clôturée. Quant à l’éventuelle question de sa nationalité, l’intéressé est tenu et va faire prévaloir ses prétentions devant l’administration que nous supposons et souhaitons neutre et impartiale.
C. En ce qui concerne le candidat J.P BEMBA, il nous semble important de noter que le concerné a été acquitté définitivement dans l’affaire principale de crimes contre l’humanité et crimes de guerre. Il est par ailleurs condamné dans l’affaire subsidiaire pour subornation des témoins, infraction autonome, prévue à la fois dans l’article 70.1/C du Statut de Rome et 129 du code pénal congolais. Aussi, il importe de formuler les observations suivantes :

-C.1 CONFUSION ENTRE CORRUPTION ET SUBORNATION DE TEMOIN SUR FOND D’ANALOGIE
L’analogie est une méthode d’interprétation de la loi pénale qui consiste à étendre l’application d’une loi pénale à des cas que le législateur n’a pas visés. Selon cette méthode, un fait, qui n’est pas expressément prévu par la loi, échappe à la répression, lors même qu’un fait analogue, peut-être moins grave, se trouve puni (G. STEFANI, G. LEVASSEUR et B. BOULOC, Droit pénal général, Dalloz, 18ème éd., Paris, 2003, p. 129). Le droit pénal congolais pose le principe d’interprétation stricte de la loi pénale, et dispose qu’en cas d’ambigüité la loi pénale doit être interprétée en faveur de la
personne qui fait l’objet de poursuites ou de condamnation. La doctrine congolaise va dans le même sens (Nyabirungu Mwene Songa,
Traité de Droit pénal général, éd. DES), si bien que le Professeur LUZOLO Bambi Lessa souligne que « le droit judicaire est soumis à une interprétation stricte. Les juges ne peuvent pas se permettre de se livrer en une interprétation analogique ou une interprétation large des textes organisant le droit judiciaire». A cet effet, il cite deux adages qui dominent généralement la matière d’interprétation des lois : «ubi lex non distinguit, ubi debemus non distinguere » ; « ubi lex voluit dixit, ubi lex noluit tacuit» (Luzolo Bambi Lessa et Bayona ba Meya, Manuel de procédure pénale, Kin., PUC, 2011, pp. 43-44). Les droits pénaux étrangers du temps actuel interdisent aussi l’interprétation analogique (S.GUINCHARD et T. DEBARD, Lexique des termes juridiques, Dalloz, Paris, 2014, p. 525). Même le statut de la Cour pénale internationale dispose que la définition d’un crime est d’interprétation stricte et ne peut être étendue par analogie (art. 22.2).
Au demeurant, il n’appartient pas au juge, encore moins aux politiques, en raisonnant par voie d’analogie, de suppléer au silence de la loi et de prononcer des sanctions en dehors des cas limitativement énumérés par le législateur. L’interdiction de l’analogie résulte du principe d’interprétation stricte de la loi pénale, sans extension ni restriction.
Une certaine opinion, qui s’inscrit dans un schéma hérétique et non orthodoxe, évoque l’inéligibilité de Monsieur Bemba, tente d’assimiler la subornation de témoin à la corruption, c’est-à-dire regarder ces deux infractions comme étant analogues, au point d’appliquer à l’auteur de la subornation de témoin les conséquences politiques d’inéligibilité liées à la corruption.
En effet, un juriste sorti d’une bonne école de droit ne peut pas, au risque de perdre tout son crédit intellectuel, se méprendre et dire que la subornation de témoin de l’article 129 du code pénal est égale à la corruption de l’article 147 du même code. La subornation de témoin de l’article 129 consiste en des actions diverses exercées sur autrui, au cours d’une procédure judiciaire, pour le déterminer, soit à faire ou délivrer une déposition, une déclaration ou une attestation mensongère, soit à s’abstenir d’une activité (Lexique des termes juridiques). L’auteur de la subornation de témoin exerce en fait des pressions sur une personne susceptible d’être appelée à témoigner en justice, en vue de lui faire effectuer un faux témoignage (G. Mineur, Commentaire du code pénal, Bruylant, Bxl., 1955).
La corruption, par contre, est un comportement par lequel sont sollicités, agréés ou reçus des offres, promesses, dons ou présents, à des fins d’accomplissement ou d’abstention d’un acte, d’obtention de faveurs ou d’avantages particuliers.
Au-delà de cette définition légale, l’approche axiologique pénale de ces deux incriminations ne donne pas droit à une certaine confusion entre les deux. La valeur fondamentale protégée dans la corruption est sans nul doute l’ordre public, l’autorité de l’Etat ou même l’administration publique. Dans la mesure où cette valeur fondamentale n’est pas protégée, le fondement de la raison d’être d’un Etat peut être remis en cause. C’est ainsi que le législateur punit la corruption.
De l’autre côté, dans la subornation de témoin, le législateur vise la protection d’une autre valeur fondamentale qu’est la bonne
administration de la justice. L’attention du juge peut en effet être détournée par les déclarations solennelles d’un témoin qui succombe,
sous diverses pressions, aux tentations d’un justiciable, et qui produit des contre-vérités.
S’il peut être admis que l’accusé qui soudoie un témoin se trouve dans un même état psychologique que le corrupteur, l’on doit cependant noter que la corruption ne peut être reprochée qu’à un agent public.
En effet, sociologiquement parlant, la corruption est un usage malhonnête du pouvoir par vénalité. Cela suppose donc qu’au moins le corrompu, c’est-à-dire celui qui est vénal ou qui se laisse acheter,soit investi d’une fonction, d’une mission lui conférant un certain  pouvoir au sein de l’administration, d’une collectivité publique ou même au sein d’une entreprise. De ce fait, la loi exige que l’auteur de la corruption soit un agent public, c’est-à-dire un agent d’une administration placée sous le contrôle de la puissance publique. Ce qui n’est pas forcément le cas de l’auteur de la subornation des témoins, qui peut être une personne privée justiciable dans un procès pénal en qualité d’accusé, et qui chercherait à détourner l’action du juge.

C.2 HYPOTHESE ABSURDE DE PRIVATION AUTOMATIQUE DES DROITS CIVILS ET
POLITIQUES DE JEAN-PIERRE BEMBA
Une autre absurdité scientifique inadmissible en droit consiste à faire croire que le fait pour un juge de condamner une personne à une peine principale emporte nécessairement et ex nihilo une peine complémentaire. Pourtant, les peines complémentaires peuvent être obligatoires ou facultatives, dans tous les cas édictées par le texte spécial applicable à l’infraction retenue. La peine complémentaire peut emporter interdiction, déchéance, incapacité ou retrait d’un droit, immobilisation ou confiscation d’un objet…
Dans le cas prévu par la loi électorale, la privation d’un droit civil ou d’un droit politique est une peine complémentaire qui est toujours prononcée par un juge dans son jugement. Cette peine complémentaire ne peut en aucun cas être supposée ni présumée. La loi
électorale va très loin jusqu’à dire que cette condamnation doit devenir irrévocable, c’est-à-dire le jugement rendu ne laisse aux parties aucune possibilité de former une quelconque voie de recours.
Le Statut de Rome prévoit aussi des peines complémentaires. L’article 77.2 dispose qu’à la peine d’emprisonnement, la cour peut ajouter soit une amende fixée selon les critères prévus par le règlement de procédure et de preuve, soit la confiscation des profits, biens et avoirs tirés directement ou indirectement du crime. Comme on peut s’en rendre compte, même dans l’hypothèse extrême d’une condamnation par la cour pénale internationale, Monsieur Jean-Pierre BEMBA ne peut pas être condamné à des peines complémentaires de privation de ses droit civils et politiques de nature à l’empêcher de prendre part aux échéances électorales à venir, car dans le cas d’espèce, aucune peine complémentaire de déchéance des droits civils et politiques de Monsieur BEMBA n’a été prononcée par la cour pénale internationale.

CONCLUSION

Il se dégage de cette étude que l’éligibilité de Monsieur KABILA est juridiquement impossible et ne peut faire l’objet d’aucun débat sérieux. L’éligibilité de Monsieur KATUMBI est de principe, à moins que l’administration en apporte la preuve contraire. L’éligibilité de Monsieur BEMBA est incontestable et ne fait l’objet d’aucun doute.Pour le GREC,

Professeur José-Marie TASOKI MANZELE
Professeur Dieudonné
KALUBA DIBWA
Directeur Coordonnateur Directeur Scientifique

le phare


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