Dans une lettre envoyée au Secrétaire Général de Nations Unies, la Communauté Banyamulenge appelle à l’action pour mettre fin au « nettoyage ethnique » des Banyamulenge à Minembwe dans les Hauts-Plateaux du Sud-Kivu.
Dans cette correspondance, les Banyamulenge disent attirer l’attention de l’ONU sur leurs profondes préoccupations concernant l’escalade de la violence qui prend de plus en plus la forme « d’assassinats génocidaires et de nettoyage ethnique ciblant les membres des Banyamulenge dans le Minembwe et les hauts- plateaux plus larges de la province du Sud-Kivu dans l’est de la République démocratique du Congo », rapporte médias Congo..
Deux femmes tuées puis mutilées
Pour soutenir son argumentaire, la Communauté Banyamulenge rappelle que le 18 avril 2020, deux femmes banyamulenge, Nyamwiza Francine et Nyiramutarutwa Naziraje, ont été torturées et tuées par les Maï-Maï après avoir subi les formes les plus atroces de torture et d’actes de violence sexuelle humiliants.
«Les images graphiques de leurs corps mutilés, qui rappellent le sort tragique de nombreuses femmes tuées au Rwanda lors du génocide des Tutsis en 1994, laissent sans voix. Les victimes faisaient partie d’un groupe d’une demi-douzaine de femmes qui ont quitté leur lieu de refuge précaire à Minembwe en désespoir de cause et se sont rendus dans leur village voisin pour récolter de la nourriture, avec une escorte de l’armée congolaise (FARDC). Au cours de leur voyage, ils ont été attaqués par des groupes Maï-Maï qui ont capturé trois femmes et un homme, Adoni Sebarezi, qui a également été tué. Les récits de la seule femme survivante, libérée après d’intenses négociations menées par les autorités militaires congolaises, font craindre le rôle ambigu joué par certains soldats des FARDC dans cette attaque, mais aussi dans d’autres attaques similaires qui ont lieu depuis plus d’un an et demi », dit la Correspondance.
Nationalité Congolaise Incontestable
Dans cette longue correspondance, les Banyamulenge, disent que tout comme de nombreuses autres communautés congolaises, ils se sont établis sur le territoire de ce qui allait devenir la République démocratique du Congo bien avant la délimitation des frontières coloniales africaines.
En vertu de la Constitution congolaise et des lois applicables, dit la lettre, la citoyenneté congolaise des Banyamulenge est incontestable, comme l’a rappelé le président Tshisekedi dans un discours à la diaspora congolaise à Londres le 19 janvier 2020.
«Toutefois, les discriminations et les assassinats ciblés qui ont eu lieu au fil des ans ont créé des conditions dans lesquelles les communautés voisines et certaines autorités les ont constamment traités comme des étrangers ou des citoyens de seconde zone », dénonce la lettre.
La Correspondance rappelle que cette situation préoccupante d’insécurité et de violence dans les hauts-plateaux du Sud-Kivu, en particulier à Minembwe et dans les environs, « patrie des Banyamulenge », a déjà été portée à l’attention du Secrétaire Général de l’ONU par diverses sources, notamment par la MONUSCO et dans les rapports du groupe d’experts des Nations unies en RDC.
«Depuis août 2018, des vagues de violence ont fait plusieurs centaines de victimes, poussé des milliers de personnes à fuir après avoir assisté à l’incendie de leurs villages, perdant ainsi tous leurs biens, y compris par un pillage systématique de leur bétail. À titre indicatif, des centaines de milliers de vaches ont été volées dans l’intention manifeste de priver les Banyamulenge de la ressource essentielle qui leur permet de gagner leur vie. Les survivants ont cherché refuge par milliers dans des camps à Minembwe où ils vivent dans la crainte constante d’attaques et dans des conditions précaires en raison de la médiocrité des abris et de l’insuffisance de l’aide humanitaire. D’autres ont fui la région et ont trouvé refuge par milliers dans les pays voisins, notamment au Burundi, au Rwanda, en Ouganda, au Kenya et en Tanzanie, où ils vivent dans des conditions très précaires. Toutes les communautés vivant dans les hauts plateaux sont touchées par la tragédie en cours, mais les attaques systématiques dirigées contre les Banyamulenge montrent clairement l’intention de nettoyer la région de tous les membres de cette communauté en tuant et en détruisant tout ce qui leur permet de gagner leur vie ».
Attaques maï-maï et discours de haine
Selon la communauté Banyamulenge, les attaques sont menées par une coalition de milices Maï-Maï des communautés ethniques voisines, en collaboration et en concertation avec les milices armées des pays voisins, principalement RED-TABARA, FNL et FOREBU du Burundi.
«Selon diverses sources, dont les Nations unies, certains de ces groupes étrangers seraient soutenus par des pays de la région. Comme le montrent les incidents les plus récents, mais aussi les plus anciens, les agresseurs généralisés ont utilisé la violence sexuelle, y compris le viol, comme une arme de guerre, plusieurs victimes ayant été tuées après avoir été soumises à des traitements inhumains et dégradants », note-t-on dans le document.
A en croire cette communauté du Sud-Kivu, la cruauté de ces attaques est, en partie, le résultat de discours de haine, y compris l’incitation à commettre un génocide contre les Banyamulenge, propagés par divers acteurs dont les groupes Maï Maï, leurs partisans des communautés voisines et d’ailleurs dans le pays et les diasporas congolaises, y compris des personnalités publiques en RDC.
«La montée du discours de haine contre les Banyamulenge recycle de nombreux thèmes véhiculés par les médias de haine du Rwanda il y a plus de 26 ans a été dénoncée par les responsables des Nations unies en RDC en octobre et novembre 2019, notamment François Grignon, représentant spécial de la MONUSCO pour la protection et les opérations et Abdoul Aziz Thioye, le directeur du Bureau conjoint des Nations Unies pour les droits de l’homme en RDC qui a averti les acteurs impliqués des conséquences», pouvons-nous lire.
Preuve de la faiblesse des réactions FARDC et Monusco
Dans la correspondance, la communauté Banyamulenge pense que des mois après ces dénonciations de discours de haine anti-Banyamulenge, le meurtre atroce des trois personnes à Minembwe est la preuve évidente que la faiblesse des réactions des FARDC, de la MONUSCO et d’autres acteurs a enhardi les acteurs impliqués qui ont agi à la vue de tous en toute impunité.
«Au lieu de protéger les civils innocents ciblés, des sources crédibles sur le terrain affirment que des membres des forces gouvernementales ont été de connivence avec les groupes Maï-Maï dans des attaques contre les Banyamulenge et leurs biens. Cette triste réalité appelle des stratégies efficaces de la part des autorités congolaises et de la communauté internationale pour protéger cette minorité menacée d’extermination. Les autorités congolaises, en particulier le président Tshisekedi, ont, publiquement ou lors d’échanges avec des représentants de la communauté banyamulenge, exprimé leur volonté de remédier à la situation tragique d’insécurité et de violence qui frappe principalement les Banyamulenge de Minembwe et des environs. Toutefois, ces bonnes intentions doivent encore se concrétiser par des actions décisives », apprend-t-on.
Pas un phénomène nouveau
Dans la correspondance, la communauté Banyamulenge rappelle que si les attaques actuelles contre les Banyamulenge en tant que groupe ont pris une autre tournure, elles ne sont pas un phénomène nouveau.
En octobre 1996, les autorités zaïroises ont annoncé que les Banyamulenge étaient des étrangers et leur ont lancé un ultimatum de six jours pour quitter le pays. Le vice-gouverneur du Sud-Kivu de l’époque qui a annoncé cet ultimatum était M. Ngabo Lwabandji qui est l’actuel ministre provincial chargé de la sécurité intérieure du Sud-Kivu. L’application de cette décision a joué un rôle dans le déclenchement de la guerre du Congo en 1996.
«Deux ans plus tard, en 1998, l’entourage de l’ancien président Laurent Kabila a appelé à l’extermination de “l’écume et de la vermine qu’il faut éradiquer méthodiquement et avec détermination”. Suite à ces appels, notamment ceux du ministre des affaires étrangères de l’époque, Abdulaye Yerodia Ndombasi, des milliers de Banyamulenge et d’autres Tutsi congolais ont été massacrés dans tout le pays. De plus, environ 40 000 Banyamulenge qui vivaient à Vyura, dans l’actuelle province du Tanganyika, excisée de l’ancien Katanga, ont été systématiquement attaqués par les soldats du gouvernement et les milices d’autres communautés locales, quelque 600 d’entre eux ont été tués, leurs villages incendiés et leur bétail pillé dans des attaques très similaires à celles qui se déroulent actuellement dans la région de Minembwe. Tous les survivants ont été expulsés de force de la province du Katanga et ont cherché refuge au Sud-Kivu. En 2004, les Banyamulenge ont été massacrés de manière sélective dans le camp de réfugiés de Gatumba au Burundi par une coalition de groupes armés burundais et congolais dans une attaque à motivation ethnique qui, une fois encore, reflète celle qui se déroule actuellement dans les hauts-plateaux. Les promesses de responsabilité faites par divers acteurs régionaux et internationaux pour cette attaque qui a été largement documentée, notamment par une enquête conjointe des forces de maintien de la paix des Nations unies au Burundi et en RDC (MONUC et ONUB), n’ont jamais été suivies d’effet » explique la lettre.
Au vu des multiples attaques récentes et des discours de haine qui se sont traduits par le meurtre barbare de deux femmes, les banyamulenge disent être très inquiets que leurs parents, mères, frères et sœurs soient confrontés à des menaces évidentes de « génocide » si rien n’est fait pour arrêter les attaques de la coalition des Maï-Maï, des groupes armés régionaux, « avec la complicité possible d’éléments des forces armées régulières congolaises ».
«Ce qui est certain, c’est que les attaques systématiques, généralisées et multiformes contre les Banyamulenge, telles que décrites ci- dessus, constituent des actes criminels au regard du droit international. C’est pourquoi la présente lettre a pour but d’attirer votre attention sur cette crise qui, jusqu’à présent, n’a suscité qu’une attention internationale limitée par rapport à d’autres crises dans l’est de la RDC ou ailleurs. En sensibilisant à la tragédie qui se déroule, cette lettre a également pour but de demander aux Nations Unies, agissant en collaboration avec tous les acteurs de bonne volonté, d’utiliser leur levier politique pour contribuer à un retour à la stabilité et à la coexistence pacifique entre les communautés dans cette région ».
Des recommandations
Concrètement, les banyamulenge recommandent à l’ONU, en collaboration avec d’autres acteurs, notamment les organisations régionales et sous-régionales ainsi que d’autres institutions internationales et pays individuels :
- de faire pression et aider le gouvernement de la RDC, en particulier le président Tshisekedi, à investir véritablement dans le rétablissement de la sécurité dans les hauts-plateaux en mettant fin aux assassinats ciblés et aux autres atrocités commises contre les Banyamulenge «afin d’éviter une extermination ou un nettoyage imminent de cette communauté ».
- enquêter, poursuivre et punir tous les acteurs locaux et étrangers impliqués dans les assassinats et d’autres atrocités visant principalement les Banyamulenge et d’autres personnes ;
- faire la lumière sur les allégations de complicité de certaines personnalités congolaises et de soldats des FARDC déployés dans la région de Minembwe/des hauts-plateaux, qui sont accusés de collusion avec les Maï-Maï et d’autres agresseurs ;
- mobiliser et fournir dès que possible une aide humanitaire adéquate aux personnes déplacées à l’intérieur du pays dans la région de Minembwe et les environs afin d’éviter des situations désespérées comme des pénuries de fournitures médicales et de nourriture qui ont conduit les récentes victimes à quitter leur lieu de refuge ;
- Mettre en place un programme de désarmement et de démobilisation ciblant les groupes armés et les combattants opérant dans la région et concevoir un programme crédible de consolidation de la paix visant à rétablir la cohésion entre les communautés locales ;
- Engager les pays de la région à procéder au désarmement et au rapatriement effectifs de tous les groupes armés étrangers opérant dans l’est de la RDC, en particulier ceux qui opèrent dans la région de Minembwe en connivence avec les groupes Maï-Maï ;
- Créer les conditions permettant aux Banyamulenge, comme à toute autre communauté congolaise, de jouir pleinement de leurs droits fondamentaux en tant que citoyens, y compris les normes mondiales protégeant les droits des communautés marginalisées telles que les minorités.
Les Banyamulenge espèrent que la correspondance avec d’autres informations pertinentes contenues dans les dossiers des Nations unies, déclenchera une action rapide pour éviter «un autre génocide dans la région, avec la communauté internationale comme spectateur ».
Rédaction
Articles similaires
En savoir plus sur Groupe de presse La République
Subscribe to get the latest posts sent to your email.