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Nord-Kivu : Diastèmes forcés, le secret de sourire de certaines gomatriciennes ! Mais à quel prix ? (Analyse)

En quête d’un sourire de bonheur, certaines filles de Goma (Nord-Kivu) prennent parfois le risque de se faire mutiler la dent (les incives centrales). A l’origine, une tradition ancestrale bien quelle tant à disparaitre dans les milieux urbains.

La taille de la dent existe toujours en RDC, elle est symbole de beauté, d’appartenance ethnique ou de courage. Cette pratique ancienne refait surface chez les jeunes filles que nous avons rencontrées se trouvant entre victimes des conséquences des diastèmes forcés et satisfaites d’un sourire refait.

En Afrique centrale, se faire tailler ou mutiler la dent chez les jeunes filles et garçons relève d’une pratique qui date des siècles passés dans les sociétés bantous et pygmées. Se faire tailler ou même mutiler la dent était considéré comme une forme de maquillage chez les jeunes en âge de se marier (entre 12 et 18 ans).Dans les rues de Goma, aujourd’hui, on rencontre souvent des vieillards au dents mutilées, vestiges de leur jeunesse. Eux, ils se sont fait « tailler » la dent pour des raisons fonctionnelles, pour pouvoir trancher leur nourriture, les céréales en particulier.

Je n’ai pas eu droit à l’anesthésie

Actuellement, l’esthétique dentaire traditionnelle consiste à créer un espace entre les deux incisives centrales du maxillaire supérieure sous forme de diastème (espace entre les incisives centrales supérieures) artificiel.
Faites uniquement pour des raisons de beauté, l’opération est à la mode chez les jeunes filles de Goma. Les tailleurs traditionnels de dents le font sans aucun outil médical approprié. Pendant que ceux qui se font tailler les dents semblent supporter les conductions douloureuses dans lesquelles l’opération se fait.

« Je n’ai pas eu droit à l’anesthésie, pendant que mon tailleur usait d’une scie à métaux pour créer de force un espace de quelques centimètres entre mes dents de devant », témoignage d’une jeune fille de Goma que nous avons croisé chez le dentiste moderne alors qu’elle venait répondre à un rendez-vous médical.

Cette dernière souffre des maux du maxillaire supérieur après les six mois qui suivent son opération chez un tailleur de dent traditionnel.

Longtemps découragée par la médecine moderne, cette pratique refait surface chez les jeunes filles de Goma, sous une autre forme. Il ne s’agit plus de rendre ses dents pointues comme jadis, mais de créer un espace entre les dents de devant afin d’avoir semblait-il un sourire qui attire les hommes.

Claudine Rubenga,20 ans compte parmi ceux qui subissent les méfaits d’une dentition espacée de force. Cette jeune dame est allée voir un tailleur de dent sous influence de ses copines qui ont passées cette opération sans en avoir des conséquences visibles jusqu’ici. Selon Claudine, le tailleur qui lui avait fait subir cette opération n’à user d’aucun autre outil que d’une scie à métaux et quelques étoffes de cotons pour absorber le sang qui coulait de ses dents.

« Durant l’opération je n’ai rien ressentie comme douleur. Mais deux semaines seulement ont suffi pour que mes lèvres commencent à gonfler. Au début j’ai eu des fortes douleurs au maxillaire supérieur et des fortes migraines. J’en ai parlé à personne » nous raconte Claudine qui grâce à la médecine moderne venait de retrouver le sourire qu’elle a failli perde en voulant trop le perfectionner.

La pauvre jeune fille ne faisait que cacher sa douleur vue que ses parents n’étaient pas au courant de l’opération qu’elle venait de subir. « C’est quand mes lèvres supérieures ont commencées à gonfler petit à petit que j’ai décidé d’en parler à ma mère. Nous sommes vite partis voir un dentiste qui m’a soigné un mois durant, jour pour jour »

Jusqu’aujourd’hui, Claudine ne sait boire des boissons trop froides ou même trop chaudes vue que ses dents sont devenues très sensibles. Si elle ose le faire, elle récolte des maux de têtes à la seconde même. Se confie-t-elle à nous.

Souffrir pour bien sourire

Nous sommes parties voir un tailleur de dent traditionnel au quartier Ndosho, Djodjo est son nom, il sait que cette pratique est interdite c’est pourquoi son cabinet de consultance n’a pas d’adresse clairement affichée. Il nous a fallu faire le tour des salons de coiffure dames aux alentours pour retrouver ce chouchou des jeunes dames dont la popularité à traverser les rives du lac Kivu. « Vous venez d’entrer quand je viens juste de placer un diastème à une fille qui prendra le bateau de ce soir pour rentre chez elle à Bukavu. Elle a fait Goma uniquement pour son rendez-vous de beauté » Se glorifie notre dentiste qui nous accueille avec sourire.

A moins de trente minutes, une autre jeune dame qui venait à peine d’interrompre notre entretient avec djodjo par son appel téléphonique fait son entrée au cabinet. C’est pour son mariage prévu dans une semaine qu’elle veut s’acheter un sourire de bonheur. La facturation des cas cérémoniaux et évènementiels n’est pas la même que celles des cas ordinaires.

Alors qu’il fait payer vingt-trois mille franc Congolais soit 10 dollars américains par service, la jeune dame n’hésite pas à payer le double elle qui compte dérider le jour exceptionnel de son mariage. Peu importe le prix.

C’est à ce moment que Djodjo sort de son sac une sorte de lûmes à ongle, un petit marteau, et une étoffe de coton, prêt à créer un joli sourire sur le visage de la future marée. Avant de commencer l’opération, notre restaurateur des sourires nous demande de sortir un peu pour mettre sa cliente à l’aise.

La dame sort après une dizaine des minutes et nous accorde à son tour un large sourire qui laisse voir son diastème bien en place « J’ai des douleurs mais ça vaut la peine de souffrir pour bien sourire le jour de son mariage » répondit la dame a notre curieuse question de vouloir savoir comme elle se sentait.

Une porte d’entrée aux infections dentaires

La médecine moderne admet l’espacent artificiel de dents dans une seule condition : C’est quand il s’agit d’une indication thérapeutique pour les patients aux dents serrées ou mal rangées. Nuance Assan Muhindo technicien en soins bucco-dentaires. L’expert ajoute qu’il y a des centimètres à respecter pour ne pas exposer la dentine (partie invisible et sensible de la dent). « Quand on crée de force un diastème on ouvre une porte aux infections dentaires ». Poursuit-il.

Assaini révèle avoir soigné plusieurs cas des complications dentaires causées par les tailleurs de dents traditionnelles. Selon lui, les patients qui reviennent vers lui sont majoritairement les jeunes filles dont l’âge varie entre 15 et 30 ans.

Parmi ses conseils, quand les dents commencent à devenir très sensibles il faut directement aller voir un dentiste « L’hyper sensibilité est le premier symptôme chez la plupart de mes patientes. Les aliments ou de boissons très chaudes ou même trop froides ne sont plus supportées par des dents qui ont étés mutilées ou tailles. Il m’est arrivé de soigner une patiente qui avait du mal à supporter même le vent qui entre dans sa bouche vue quelle avait mis du temps avant de passer ici au cabinet. Mais son cas a été bien traite. » partage le dentiste.

Nombreuses sont ceux qui jusqu’ici ne ressentent aucune douleur après avoir fait tailler leurs dents mais cela ne dit pas qu’ils vont bien. Selon Assan Muhindo, il vaut mieux de se faire soigner chez un dentiste moderne dès que l’on prend conscience du risque que l’on court même si l’on ne ressent encore rien comme retour après l’opération diastème artificiel.


Thierry KAYANDI


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