Dans une interview de 52 minutes accordée à une chaîne en ligne émettant depuis Londres, le coordonnateur politique de l’AFC/M23, Corneille Nangaa, a relancé le débat sur le contrôle économique dans les zones passées sous occupation. Selon lui, la fermeture prolongée des institutions bancaires a poussé les populations locales à adopter spontanément plusieurs devises étrangères.
« Cela fait 10 mois que les banques sont fermées, il n’y a plus de francs congolais, et la population va se prendre en charge », a-t-il déclaré. D’après lui, à Uvira comme dans d’autres localités, circulent désormais le shilling ougandais, le franc rwandais ou encore le franc burundais. Une adaptation “naturelle”, selon lui, mais qui témoigne d’un inquiétant glissement monétaire.
À Goma, la situation est particulièrement critique. Les habitants décrivent un franc congolais (CDF) presque impossible à trouver. Dans les marchés, les transporteurs, petits commerçants et prestataires de services peinent à assurer des transactions normales. Trouver de la monnaie pour rendre la différence est devenu un véritable défi.

Les rares billets encore en circulation sont souvent usés, déchirés ou illisibles, ce qui pousse beaucoup de vendeurs à les refuser. Résultat : tensions, pertes et hausse artificielle des prix dans les échanges du quotidien un repas, un trajet en moto, un achat en boutique… tout devient plus compliqué, plus cher, plus incertain.
Le Dr Kakendi Vital, économiste et spécialiste de l’intégration régionale, explique que le recours à des monnaies étrangères dans un territoire donné s’explique généralement par trois facteurs :
- Manque ou insuffisance de liquidités locales comme c’est le cas dans les zones sous administration AFC/M23.
- Recherche de stabilité et de confiance lorsque les usagers perdent espoir dans la monnaie nationale en raison de la volatilité du taux de change.
- Intensité des échanges régionaux quand les monnaies voisines, jugées plus stables, facilitent les transactions commerciales.
Dans le cas présent, l’absence d’injection de liquidités de la part de la Banque centrale du Congo force les acteurs économiques à se tourner vers les monnaies étrangères. Le CDF est en train de se déminéraliser dans son propre territoire.
Conséquences d’une disparition du franc congolais
Selon Dr Kakendi Vital, cette rareté va bien au-delà d’un simple problème logistique. Elle annonce une fragmentation monétaire profonde.
- Affaiblissement de la souveraineté économique
L’usage massif de devises étrangères dans une partie du pays réduit mécaniquement le pouvoir économique de l’État. La monnaie est non seulement un moyen de paiement, mais aussi un symbole d’unité nationale.
- Inflation locale et hausse des prix
L’absence de CDF crée un déséquilibre :
hausse des prix pour couvrir les risques liés au change,
impossibilité de rendre la monnaie,
circulation non contrôlée de plusieurs devises, avec des taux fluctuants d’un lieu à l’autre.
Un chaos économique qui profite à certains réseaux informels, mais appauvrit les ménages.
- Risque d’une “polymonétarisation sauvage”
La RDC fonctionne déjà en dualité monétaire (CDF–USD). L’arrivée simultanée de trois monnaies frontalières crée un système ingérable, non encadré, où chaque zone adopte sa propre logique de paiement.
- Perte de confiance envers la Banque centrale
Dix mois de paralysie bancaire si cela se vérifie représentent un coup dur pour la crédibilité du système financier congolais dans ces zones. Les populations se rabattent sur des circuits informels ou imposés par le contexte militaire.
Aujourd’hui, dans les zones sous occupation de l’AFC-M23, les habitants survivent dans une économie improvisée, précaire et fragmentée. À la pénurie monétaire s’ajoute l’insécurité, renforçant un sentiment d’abandon.
Les propos de Corneille Nangaa soulèvent une question essentielle :
vers quel avenir monétaire se dirige l’Est de la RDC si le franc congolais continue de disparaître du circuit ?
Pendant ce temps, les populations locales n’ont qu’un seul impératif : essayer de vivre au jour le jour dans une économie qui leur échappe de plus en plus.
Par Marasi Bénédicte Zoé | Groupe de Presse La République
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